Le poète Pierre Emmanuel, mort le 22 septembre 1984, trois semaines
après la sortie du Grand oeuvre, a su en décembre 1983, neuf mois
auparavant, que commençait pour lui «l'émerveillante gestion de la
mort».
Vingt ans après sa mort, nous sommes bien des lecteurs d'un autre
temps, et pourtant à chaque page nous frappe la pertinence du propos.
De quand date donc telle réflexion sur l'école, tel constat sur la
désaffection prévisible des citoyens pour la «chose publique», telle
révolte contre le nivellement opéré par la télévision ou telle analyse sur
le malaise de la jeunesse ou sur la violence dans les banlieues, pour
que tout cela sonne, incroyablement juste à nos oreilles ? Comment ces
chroniques ancrées dans le plus quotidien de l'événement ou de la rencontre
peuvent-elles nous dire quelque chose de l'essentiel qui aujourd'hui
encore devrait nous occuper ?
C'est certainement que le monde et la vie humaine changent moins
que la modernité voudrait nous le faire croire. Mais c'est aussi peut-être
d'abord que ce sont là chroniques de poète. D'un poète qui n'a
jamais considéré que la poésie soit un art du rêve ou de l'absence au
monde mais au contraire qu'elle est le langage même de la réalité qui,
nous y incarnant, nous enfante au réel.
Anne-Sophie Constant