Le Roman d'Énéas, l'un des plus anciens romans français, est bien plus qu'une
simple mise en romanz de l'Énéide. Certes, le clerc a démontré sa connaissance
intime du texte de Virgile, mais il a su en faire oeuvre nouvelle, adaptée aux lecteurs
de son temps et, sans doute aussi, du nôtre, en ce qu'elle s'est dépouillée de la
solennité altière de l'hexamètre latin et s'est enrichie d'anachronismes pleinement
assumés.
Le lecteur trouvera en effet dans ce texte que nous nommons «roman»
par commodité, un roman didactique, un roman d'aventures, un roman politique,
un roman d'amour et, en fin de compte, un roman d'initiation. Roman didactique
en ce qu'il présente au lecteur des éléments d'histoire antique, de mythologie, de
géographie merveilleuse, d'architecture civile et militaire, avec une ambition quasi
encyclopédique. Roman d'aventures, puisqu'il nous conte les tribulations d'Énéas,
ses épreuves, ses combats et qu'il met en scène des personnages au caractère
extraordinaire. Roman politique, il illustre les codes et les valeurs qui sous-tendent
la conquête du pouvoir dans le monde féodal. Roman d'amour, il inaugure le
monologue psychologique qui aura une immense postérité et défend un modèle
d'union qui satisfait à la fois aux exigences du royaume et à celles du coeur. Roman
d'initiation enfin, il présente la transformation d'un fugitif désemparé en figure
royale, en fondateur d'une illustre lignée.