Dès ses premières conceptualisations, aux XVIIIe et XVIIIe siècles, l'idée de progrès implique l'abolition des limites jusque-là imposées au savoir et au pouvoir de l'homme : l'humanité est indéfiniment perfectible, l'avenir ouvert et constellé de promesses. Maître de la nature, sujet souverain, l'homme dispose du réel qu'il imagine malléable et manipulable à l'infini. Pour la première fois, l'espérance est donnée à l'homme par l'homme.
C'est au cours du XXe siècle que les croyances progressistes vont être ébranlées par la découverte d'une barbarie scientificisée et technicisée. La crise environnementale, le constat des « dégâts du progrès » renforceront à leur tour la vision catastrophiste d'un progrès « meurtrier ». La puissance dangereuse mais bénéfique de Prométhée s'est transformée en pouvoir de destruction.
La mise en cause radicale du progrès est ainsi devenue, depuis quelques décennies, un lieu commun du discours des élites intellectuelles et des mouvements contestataires. Le camp des ennemis du Progrès est aujourd'hui au moins aussi puissant que celui de ses amis. Situation culturelle inédite et dilemme paralysant : retour impossible à l'optimisme progressiste ou fuite nihiliste dans la désespérance. La promesse d'une amélioration de la condition humaine demeure cependant un horizon de sens pour l'humanité au seuil du troisième millénaire. C'est pourquoi il importe de repenser le progrès. De distinguer, dans l'héritage progressiste, ce qui est mort - la thèse nécessitariste du progrès « automatique » - de ce qui est vivant - la conception mélioriste du progrès comme exigence morale et raison d'agir.
Une telle entreprise suppose de retracer quatre siècles d'histoire conceptuelle politique de l'idée de progrès et d'en analyser le principales théorisations, de sa premières esquisse par Bacon, au début du XVIIe siècle, à son élaboration par Pascal, Leibniz et Fontenelle, jusqu'à sa formulation canonique par Turgot, Condorcet et Saint-Simon, prélude à son triomphe idéologique au XIXe siècle. Mais il s'agit aussi d'évaluer ses effets et de clarifier les raisons des débats contemporains entre néo-et antiprogressistes.
Un exercice de pensée qui se propose précisément de rompre avec les évidences reçues. Car si le progrès a un avenir, c'est à la condition d'être « défatalisé » et « désutopisé ». Cet ouvrage constitue l'aboutissement d'une réflexion sur le progrès, conduite par l'auteur depuis plusieurs années.