Il est des auteurs qui, de leur vivant, ont occupé sur la scène littéraire une place non négligeable et qui disparaissent de manière énigmatique. S'il est vrai que le temps discrimine souvent avec discernement, la règle n'est heureusement pas intangible. Des oeuvres méritent d'être encore lues et quitter l'oubli dans lesquelles elles sommeillent.
Il en est ainsi du Serviteur d'Henri Bachelin paru chez Flammarion en 1918, qui, la même année, fut cité pour le Goncourt et obtint le prix Fémina.
Homme de lettres et fin connaisseur de musique religieuse, H. Bachelin fut un collaborateur régulier du Mercure de France et de la NRF où il côtoya André Gide, Paul Léautaud ou encore Charles-Louis Philippe. Disciple et ami proche de Jules Renard, il fut l'éditeur de ses oeuvres complètes, mais contrairement à celui-ci, il n'y eut point d'Écornifleur ou de Journal pour assurer sa renommée.
Le serviteur pourtant aurait mérité un souvenir pérenne, car tout y est modeste et tout nous y apparaît grand.
Ce livre est un tombeau à la mémoire d'un père, simple journalier et sacristain, qui mena une existence modeste et discrète dans un village du Morvan à la fin du XIXe siècle. Avec une piété filiale aussi retenue qu'admirable, le fils devenu écrivain retrace les travaux et les jours d'un homme qui fut, à l'instar de bien d'autres, exclusivement guidé par les impératifs du Ciel et de la Terre.
Le récit décrit avec grande justesse une époque où les saisons, la nature et Dieu sont encore intriqués de manière immuable. C'est la France rurale des villages d'avant la Grande Guerre, où les jours s'écoulent au gré des saisons et où l'on s'accommode encore du peu. On travaille non pour s'enrichir mais pour subsister, on contemple les soirées d'été étoilées, on connaît sa place future au cimetière.
Le serviteur décrit un monde évanoui, englouti par la modernité et, à ce titre, il demeure un témoignage émouvant d'une époque devenue fantomatique mais encore présente au coeur de ceux qui scrutent la vie dans une mémoire au long cours.