Les deux initiateurs de la racine dans le domaine arabe, Sîbawayhi
et al-Khalîl, étant morts aux alentours de l'an 800, on peut donc dire
que ce concept grammatical a servi d'organisateur de la morphologie
et du lexique de l'arabe pendant 12 siècles, les structuralistes et
générativistes n'ayant apporté rien de neuf sur ce point et s'acharnant
plutôt à défendre ce modèle.
Ce n'est que dans Matrices, étymons, racines (1997) que Georges
Bohas a clairement démontré que ce concept ne permettait pas une
organisation satisfaisante du lexique mais empêchait simplement de
découvrir les relations existant entre les mots et qu'une organisation
en trois niveaux (matrice, étymon, radical) devait lui être substituée.
Dans l'ouvrage Une théorie de l'organisation du lexique et des
langues sémitiques, matrices et étymons (Bohas et Dat 2007) ce
modèle a été affiné et nous avons montré comment le lexique de
l'arabe peut être réorganisé sous forme de vastes champs phonético-conceptuels
dont la matrice est l'hyperonyme. Un des effets de cette
organisation du niveau submorphémique est, comme nous l'avons
démontré dans cet ouvrage et dans plusieurs autres études réalisées
depuis en collaboration avec Abderrahim Saguer, de fournir une
explication à des phénomènes comme la polysémie, l'homonymie
et l'énantiosémie qui étaient tenus pour de mystérieuses propriétés
de l'arabe jusque ici.
Dans le présent ouvrage, nous donnons une première idée de ce
que peut être un dictionnaire fondé sur l'organisation en matrices et
étymons. Six matrices sont présentées, dont émanent 102 étymons,
ce qui recouvre 637 racines triconsonantiques au sens traditionnel
du terme.
Cette réorganisation n'a pas seulement un intérêt pour le lexique de
l'arabe, elle a des retombées considérables sur la théorie linguistique
elle-même, dans la mesure ou elle démontre que les deux postulats
saussuriens (arbitraire et linéarité du signe linguistique) doivent être
remis en cause radicalement.