Le sujet alcoolique
Les écrits de Michel Legrand surprennent toujours parce qu'il ne prend pas des chemins battus. Ici encore, avec ce livre sur le « sujet » alcoolique, il va à l'encontre des représentations communes, celles d'un alcoolique malade, dépendant, aliéné. Car, à ses yeux, non seulement l'alcoolique demeure un sujet, mais encore il nous éclaire, dans ses vacillements mêmes, sur le sujet que, tous, nous ne cessons d'être.
Pareil propos devait s'accomplir en rencontre de personnes singulières, en écoute de récits de vie, en réécriture d'histoires, qui articulent terrain socio-familial et cristallisation biographique de drames existentiels ; l'alcool, d'abord investi comme remède, finit par entretenir la souffrance qu'il prétendait soulager. Seule une stratégie thérapeutique complexe, intégrant gestion pragmatique du symptôme et travail analytique sur le sens, peut aider la personne à s'en sortir ; l'intervention biographique, ouvrant au sujet alcoolique l'espace d'une possible réhistorisation, devrait apporter sa contribution.
« Mes histoires de cas, s'excusait Freud, se lisent comme des romans » ; c'est cela même qui est ici revendiqué : l'essai d'un nouveau style en sciences humaines, qui laisse poindre la part d'implication d'un sujet ; enfin, qui marie des genres hétérogènes - théorie, clinique, roman. L'ouvrage de Michel Legrand constitue à cet égard un important jalon.