Le sujet de l'histoire
Comment parler de l'expérience du témoin mort ? C'est la question que se pose ce livre. Comment en parler lorsque le seul langage dont nous disposions est celui du sujet (sujet de l'histoire et de la vérité historique). Il semble que nous n'ayons aucun langage pour l'expérience du témoin mort et du crime sans vérité. C'est donc le survivant post-catastrophique qui est soumis ici à une triple épreuve. La première épreuve est celle de la philologie. Elle oppose ou juxtapose le survivant comme relique à la figure du natif, cette créature par excellence de la philologie, instituée par cette dernière comme un vestige, comme le témoin de sa culture et déjà comme le survivant de son propre désastre. La seconde épreuve est celle de la traduction. Elle fait apparaître la langue survivante dans l'espace des traductions, en organisant une confrontation entre la traduction « potentialisante » des Romantiques et l'opération qui consiste à traduire dans une langue vivante comme si elle était morte. La troisième épreuve est celle de l'image et de la « ressemblance mortuaire ». Au bout du compte, il s'agit de libérer le survivant des discours historisants et juridiques qui ont cours à propos des « tragédies holocaustiques » du siècle dernier. Ces discours, quoique inévitables, sont une insulte à la figure même du survivant, parce qu'ils méconnaissent fondamentalement la nature de l'événement catastrophique.