Le système Victoria
« Si j'avais renoncé, à cet instant précis, à lui adresser la parole, intimidé par la perspective de faire entrer dans ma vie une femme de cette stature ; si je lui avais dit : « Excusez-moi, je suis désolé, je vous ai prise pour quelqu'un d'autre », avant de m'éloigner et de rentrer chez moi ; si j'avais pu savoir que l'aborder entraînerait mon existence dans une direction où je n'étais pas sûr de désirer qu'elle s'aventure, Victoria n'aurait pas trouvé la mort un peu moins d'un an après notre rencontre. Elle serait encore vivante aujourd'hui. Je ne vivrais pas retiré dans un hôtel de la Creuse, au bord d'une route, séparé de Sylvie et des enfants, à ruminer ma culpabilité. Je n'aurais pas été détruit par le rôle que j'ai joué dans ce drame, ni par les deux jours de garde à vue qui en ont découlé. Le visage, les regards, la pitié de Christophe Keller ne se seraient pas installés dans ma conscience comme une obsession corrosive. Mais il se trouve que le visage de Victoria s'est tourné vers le mien et que j'ai basculé dans ce regard qui s'étonnait. »