Lorsque les éditions Kohlhammer, de Stuttgart, publient Tempus : besprochene und erzählte Welt en 1964, l'article d'Émile Benveniste sur « Les relations de temps dans le verbe français » est paru cinq ans auparavant dans le n° 54 (1959) du Bulletin de la Société de Linguistique de Paris. On mesure la précocité de la réaction d'Harald Weinrich par rapport à un texte qui reste aujourd'hui parmi les plus souvent cités dans les études françaises de linguistique générale.
Les temps du verbe, écrit Benveniste, « se distribuent en deux systèmes distincts et complémentaires [qui] manifestent deux plans d'énonciation différents », l'« histoire » et le « discours ». Il revient à Harald Weinrich d'explorer, principalement dans la littérature française (Voltaire, Flaubert, Maupassant, Proust, Camus, Sartre...), la bipartition du temps linguistique selon l'« attitude » et la « perspective de locution » adoptées par l'énonciateur.
Délaissant la distribution benvenistienne des pronoms entre personne et non-personne (« Structure des relations de personne dans le verbe », BSLP, n° 43, 1946), l'auteur développe les conséquences pour la grammaire textuelle de la « dichotomie structurale » entre groupe de temps compatibles avec le passé simple et groupe de temps compatibles avec le présent. Il montre comment le passé simple sert à conduire des récits distanciés où le monde est raconté (erzählte Welt) dans la détente, là où le présent (associé au passé composé et au futur simple) implique les interlocuteurs par rapport au monde ainsi commenté (besprochene Welt), indépendamment de la distinction entre langue écrite et langue parlée.
Dernière grande catégorie explorée par Le Temps, la « mise en relief », dans le récit, de l'action conduite au passé simple sur un arrière-plan à l'imparfait, analyse qui débouche sur une linguistique de la littérature, avec par exemple des clefs pour comprendre la division des textes en paragraphes.
On devait à cet ouvrage de référence bientôt cinquantenaire, épuisé au Seuil, de le rééditer.