Pourquoi est-il devenu si difficile de consoler ? Longtemps considérée
comme une prérogative de la philosophie, la consolation
semble désormais réservée à la psychologie ou à la religion. Car
contrairement aux Anciens, nous ne croyons plus que la raison
possède le pouvoir de réconforter. L'abstraction des savoirs
modernes a plutôt quelque chose de désespérant, comme si
la vérité elle-même était devenue affligeante. Pour les tristesses
ordinaires, on s'adresse donc à un thérapeute ; pour les deuils
d'exception, on convoque un dieu.
Le besoin de consolation est pourtant à la source de pratiques
innombrables : chants, rituels, commémorations... Acte social, la
consolation est une manière d'être ensemble malgré la séparation.
On console une douleur que l'on ne partage pas, mais sur laquelle
on cherche à agir. Il s'agit de convaincre l'autre qu'il est possible
de vivre au-delà du point où cela semble impossible.
En cela, la consolation intéresse la philosophie au plus haut
point. Elle entretient un rapport avec les pertes qui constituent
notre temps : la disparition des anciens modèles communautaires
suscite des désirs réactionnaires de restauration ou des abandons
mélancoliques au ressentiment. Refusant cette alternative, ce livre
plaide en faveur d'une politique de la consolation qui permette
d'affronter collectivement ce qui nous manque et que l'on a tant
de mal à nommer. En pensant la consolation, on fait droit au
pouvoir subversif du chagrin que ni les injonctions au deuil ni
les impératifs de résilience ne parviennent à étouffer.