Cynthia prima fuit, Cynthia finis erit : Cynthia fut la première, Cynthia sera la dernière. Dans son quatrième et dernier recueil, Properce réalise sa promesse : il inscrit le tombeau de son unique amante au cœur d’une Rome impériale transfigurée par l’élégie. L’adieu à l’amour, à la fin du livre III, et le ralliement impromptu du poète à l’Empire ne sont que les pénultièmes péripéties d’une aventure qui précèdent de peu l’apothéose de l’héroïne : dans le livre IV, fallax opus, œuvre trompeuse, Properce subvertit le motif de l’immortalisation par la poésie des héros guerriers au profit de sa maîtresse, une femme légère comme le genre qu’elle incarne. « Plaisant paradoxe » selon Paul Veyne, l’élégie est aussi l’écriture, mêlée de joie et d’inquiétude, d’une audace nouvelle : l’esclavage amoureux libère la poésie qui devient nécessairement personnelle et subjective. Si l’amour sine modo, l’amour sans mesure, fou par fidélité, affidé par folie, ne se dit pas dans la transparence d’une écriture sincère, il demeure le signifié d’une authentique déclaration : celle d’un poète mauvais genre qui, contre toute la tradition, le pouvoir et même la loi, réclame le droit d’aimer et de le dire. Il lui faut pour cela développer un paradoxe, en même temps plaisant et sérieux : la recusatio de l’épopée, refus dramatisé du genre noble et du chant patriotique, est, dans la Rome d’Auguste, une épreuve digne d’un héros épique.