Nous avons tous commencé par être «trahis» ; ce n'est que
très exceptionnellement que nous nous sommes sciemment
et délibérément engagés comme nous nous trouvons l'être. La
réalité venue à nos intentions «innocentes» nous a conduits
à être ce que nous n'avions pas voulu. Nous n'avons jamais
fait cela seulement que nous voulions faire, mais encore ce
que les autres et l'histoire ont décidé que nous avions fait.
Entre l'intellectuel qui, pour échapper à ce risque, s'isole
et se veut inagissant, et tous ceux qui s'excusent par leurs
pieuses intentions de la réalité qu'en fait ils opèrent mais
dont ils se disent prisonniers, une voie doit être trouvée.
Il faut vouloir que l'acte déborde son intention, car sa réalité
est à ce prix. Il faut vouloir être engagé par les autres plus
avant qu'on ne pensait et ne pouvait le faire tout seul.
Mais pour être capable de le vouloir réellement (au lieu de
produire seulement une volonté imaginaire et vide, masquant
le fatalisme) encore faut-il le faire sciemment : connaître la
situation globale dans laquelle l'acte lancé va s'inscrire ; le
camp et le sens dans lequel on souhaite être engagé. C'est
ce que j'ai essayé de faire. C'est dans les limites de cette
volonté que j'accepte d'être «trahi» (c'est-à-dire conduit
plus loin que je ne peux aller tout seul).
A. G.