Ce qu'on voudrait, c'est faire entendre cette marche continue des immigrants, tels qu'ils sont venus ici depuis la fin de la dernière guerre mondiale, année après année, vague après vague.
Ce qu'on voudrait, c'est parvenir à les voir le jour de leur venue, deviner quelque uns de leurs gestes, un peu de leur regard lorsqu'ils ont débarqué d'Espagne, d'Italie, de Pologne, d'Algérie, du Portugal, de Yougoslavie, du Maroc, de Turquie, de Tunisie, du Sénégal, du Mali, du Chili, du Vietnam, du Cambodge, d'Inde, d'Afghanistan, de Roumanie, du Cameroun, d'Ukraine, d'Iran, de Lettonie, de Russie, d'Ossétie, de Tchétchénie, d'Ouzbékistan, d'Albanie, de Géorgie.
Ce qu'on voudrait, c'est prendre aux mots les statistiques qui ne savent compter que par cent et donner visage à une centaine d'immigrants, tels que nous les avons rencontrés dans les Ardennes, l'Aube, la Marne, la Haute-Marne, région Champagne-Ardenne, France.
Ce qu'on voudrait, c'est donner à entendre le foisonnement des histoires, la multiplicité des trajets, ce qu'ils ont donné d'eux-mêmes, ce qu'ils ont apporté, et comment avec leur aide, ce pays s'est transformé.
Ce qu'on voudrait, c'est vérifier la vieille leçon du «vent vivant des peuples» selon laquelle ce qu'on appelle trop souvent invasion est une force de sédimentation. Ceux qui hier encore étaient des étrangers finissent, un jour, par devenir à leur tour des gens d'ici.
La nation n'est rien d'autre que ce lent mouvement toujours recommencé.