Parmi les grands voyageurs de la littérature, André Suarès occupe une place originale. Ce n’est pas pour se distraire qu’il parcourt l’Italie, de Florence à Venise et à Sienne en passant par Milan, Gênes et nombre de petites villes: il s’y engage avec toute son âme. Le Condottiere, c’est lui, un «homme pour qui la plus haute puissance n’a jamais été que la possession et l’exercice du plus bel amour». «On ne voyage, dit-il encore, que pour faire une conquête ou pour être conquis (...) Le Condottiere rêve d’être conquis en conquérant.» Maître d’une haute culture, contemplant les oeuvres de Fra Angelico, Léonard de Vinci, Botticelli, Michel-Ange, Giotto, Dante, Piero della Francesca, Véronèse, Monteverdi ou Titien, il ne s’arrête jamais à l’objet pur et simple ou au pittoresque: de tout il essaie de tirer une leçon spirituelle, il cherche l’homme lui-même. Il prend parti, et souvent avec injustice. Mais ses nombreux parti pris n’empêchent pas sa passion d’être lucide. Naturellement, son Italie de prédilection n’est pas celle de l’Antiquité, mais la terre fiévreuse et colorée du Moyen Âge, l’Italie des mystiques, des princes sanglants et des politiques perfides, qui sont à leur manière ses «professeurs d’énergie». Les lignes qu’il consacre à Botticelli disent peut-être la plus pure leçon de son voyage: «Délice d’une telle réserve, d’une ardeur si continue ! Ici la passion murmure: Éloigne-toi au rêve qu’elle appelle; ici, les personnes humaines peuvent s’avancer dans la vie: elles sont enveloppées de leur propre mystère, comme les dieux, et voilées comme eux, de leur perfection, quand ils voyagent sur la terre...»