Nous autres civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles. Ce cri, que la Grande Guerre arrache à Valéry fait ici question : transmettrons-nous le projet civilisateur moderne, fondé sur l'écriture de notre science ?
En inaugurant une pratique de l'alphabet, les Grecs ont conçu l'idée d'un logos mathématisable et intégralement transmissible. Notre modernité découvre, en formalisant l'écriture du savoir, l'impossibilité de mener à terme le projet de transmettre, sans reste ni paradoxe, la vérité de la science. Prolifèrent alors les technologies - et ce malaise nommé par Freud...
Entre écriture et transmission, quel rapport ?
Dans l'antique récit du Laboureur et ses enfants, se lit l'énigme de leur nouage : ce qui fait monde pour nous, nous le nommons avec les mots d'un mort que nous appelons père. Mais, à l'obsédant écho de sa voix d'outre-tombe, aucun objet «du monde», assurément, ne répond... L'objet de la transmission est sans image ; il est à dire. Et l'écriture n'en atteint que l'absence dont elle signe le deuil.
On ne peut pas ne pas communiquer ! répètent les théoriciens de la communication. Ce livre nous ramène à l'indécidable équivoque où se trame la communication - et que redouble l'écrit jusque dans la simulation de l'Intelligence Artificielle. Il nous ramène à la banale expérience de l'inaccessibilité de l'autre, d'où surgit, vitale et irraisonnée, l'exigence de transmettre, c'est-à-dire de faire œuvre.