«L'écrivain argentin et la tradition» est un des essais de Borges qui a suscité le plus grand nombre de commentaires, comme si le sens en était inépuisable ou comme s'il se renouvelait à chaque lecture. C'est là sans doute que réside l'attrait de son mystère. En définitive, la tradition est un terme qui a ses propres «traditions»: il provient du latin traditio, qui désigne l'action de remettre, de transmettre, aussi bien une chose - une ville qui se rend à ses ennemis, par exemple - qu'un enseignement, une doctrine. L'essai de Borges, comme une forteresse qu'on ne parvient jamais à prendre totalement, fait partie de l'héritage transmis au fil du temps aux Argentins, et, selon la propre conception de l'auteur, à la littérature occidentale.
À cinquante ans passés, «L'écrivain argentin et la tradition» non seulement conserve sa pertinence mais franchit les limites de son cadre géographique et historique originel. Il exige - il continue d'exiger - la remise en question de toute classification d'une littérature comme «marginale», qu'elle soit d'Argentine ou d'un quelconque pays analogue; il exige la révision du sens de concepts tels que marge et centre; il exige, en définitive, la discussion de l'idée même de culture occidentale. Si ces problèmes, il y a cinquante ans, se posaient de manière urgente, combien plus le sont-ils maintenant, à cette époque assujettie à l'empire de la globalisation. Aujourd'hui, plus que jamais, l'essai de Borges apparaît encore provocateur. L'existence même de cet ouvrage - et la tenue même du colloque qui en constitue l'origine - le démontrent amplement.