Lorsqu'il rejoignit en juillet 2014 l'appartement que la DAAD, l'office allemand d'échanges universitaires, lui avait réservé à Berlin où il était invité pour une résidence d'écriture, Malek Alloula emportait divers textes qu'il se promettait, me dirait-il, de « mettre au point ». Il avait « soumis » le tapuscrit de L'Ecriveur, à un ou deux éditeurs, puis l'avait remisé. Ce récit à forte empreinte autobiographique, pièce apportée, voire fondatrice, aurait manqué à l'oeuvre du poète et essayiste.
Ghislain Ripault
Certitude en te lisant d'effeuiller la marguerite d'un passé révolu, d'un temps retrouvé. Les tiens, les miens, ceux de deux adolescences oranaises. Je te sens à la fois proche et lointain, immatérielle présence lisant au-dessus de mon épaule les phrases que je déroule pour elle. Te vois dans la posture où tu es quand je referme le dernier livre que tu as laissé derrière toi, jeune écrivain public assis derrière ta machine à écrire dans une échoppe oranaise, à l'écoute du client. Nous sommes du même entêtement fécond, mon ami. Du même terreau humain d'Oran. Du même peuple d'Analphabètes majuscules. De la même instruction de l'école coloniale qui nous faisait dès l'enfance obligés de ceux qui ne savent pas dire. Du luxe insensé de continuer d'écrire pour nous acquitter d'une dette ancienne et profonde contractée au sortir de l'enfance, en nous adressant en première intention aux illettrés dont nous étions les modestes porte-plumes. Car, comme tu le soutiens, les meilleurs lecteurs de romans sont les analphabètes.
Ahmed Zitouni