Du Château d'Argol (1938) aux Carnets du grand
chemin (1992), l'oeuvre de Julien Gracq déploie devant nous un
paysage littéraire qu'il est désormais possible d'embrasser du
regard, tel «un chemin de la vie qui serait aussi un chemin de
plaisir.»
Gracq est l'enchanteur réticent : le don qu'il nous fait ne
peut être séparé d'un retrait. Le livre de Michel Murat respecte
ce partage, et réserve la vie privée. Il s'attache à éclairer l'oeuvre,
en dégageant ses lignes de force : la fascination des lieux où
se joue, entre pressentiment et mémoire, «le litige de l'homme
avec le monde» ; le goût du romanesque, doublé d'une réflexion
aiguë sur les possibilités actuelles du genre ; le développement
progressif d'un style qui signe chaque page comme nul ne
sait faire aujourd'hui.
Ni marginal, ni intempestif, Gracq appartient à notre histoire
; il est de ceux qu'une rupture précoce avec le communisme
a laissés comme en déshérence au lendemain de la
guerre. Si son oeuvre se construit dans un dialogue tendu avec
le surréalisme, elle oppose un refus tranchant à tout «engagement»
et tient à distance jusqu'au succès public. L'histoire a
voué Gracq à la littérature : il en fait sa vraie morale, et n'a cessé
d'avoir souci de sa destination.
On trouvera également ici une présentation critique de
tous les livres de Julien Gracq, une chronologie, et une bibliographie
sélective.