Beaucoup plus qu'on ne peut généralement le penser, l'attitude des parents à
l'égard de leur enfant, la façon dont ils se le représentent et les relations qu'ils
entretiennent avec lui sont tributaires de l'état des connaissances savantes sur la
petite enfance. Ce sont ces savoirs issus de la médecine, de la psychologie, des
sciences humaines, qui délimitent le cadre de référence à travers lequel l'enfance
est perçue. Les normes éducatives mais aussi les attitudes de tout un chacun à
l'égard de l'enfant sont façonnées par ces discours savants. La parentalité - l'art
d'être parent -, qui semble pourtant si naturelle, y trouve sa légitimité.
L'étude de l'évolution de ces savoirs depuis la dernière guerre mondiale
montre bien l'importance de ceux-ci comme cadre de référence de la société à
l'égard du petit enfant. Mais ces savoirs évoluent, et bien souvent de façon contradictoire
et conflictuelle. L'importance prise récemment par la question du père
et les polémiques développées auparavant sur l'intérêt de l'accueil collectif le
montrent à l'évidence. En fait, la légitimité du discours scientifique masque son
caractère hypothétique, alors même que la diffusion de ce discours par les médias
tend à le constituer en discours de la vérité.
Le chemin est long de l'émergence de la théorie de la carence maternelle
après-guerre aux questionnements sur la filiation suscités par les techniques de
procréation médicalement assistée. Une image se construit, celle de l'enfant-sujet
à multiples facettes : l'épanouissement, la performance et la vulnérabilité. L'impact
des théories psychanalytiques s'y donne à lire. Plus récemment, les travaux sur les
apprentissages précoces favorisent l'investissement parental sur les performances
d'un «super bébé» qui devra affronter l'âpreté de la compétition scolaire et
sociale. Autant d'approches montrant qu'à l'heure actuelle, le petit enfant est
constitué en enjeu social de la parentalité, et plus globalement encore, de la
conception de la personne humaine.