Il y a, au coeur du geste épistolaire, une fondamentale équivoque,
que les écrivains ont souvent exploitée. La lettre favorise,
dit-on, la communication et la proximité ; mais elle peut aussi
disqualifier toute forme de partage et produire une distance, un
éloignement, nécessaires à l'avènement de l'oeuvre.
Les pratiques épistolaires examinées ici sont donc considérées
comme autant de laboratoires installés aux frontières de
l'écriture poétique. On y passe, par exemple, des scènes
d'amour de Flaubert et de Kafka aux scènes financières de
Baudelaire, des condoléances et des bulletins de santé de Proust
aux emportements d'Artaud, des saluts de Mallarmé aux confidences
de Valéry, ou encore aux prospections immobilières de
Rilke. A travers les usages les plus divers de la lettre se dessine
ainsi une sorte de généalogie de quelques-unes des expériences
les plus significatives de la littérature moderne.