Etienne Jodelle (1532-1573) n'a pas publié ses oeuvres, ni composé lui-même ses Amours: il s'agit d'un recueil factice, constitué par des amis pour une publication posthume. Vers de commande ou de circonstance, certains de ces poèmes comptent parmi les plus beaux du seizième siècle français. Jodelle n'y dissimule pas la distance ironique qu'il entretient avec les conventions de la poésie amoureuse, en même temps qu'il la pratique en maître. Cette ambivalence éclate dans les sonnets des Contr'Amours, vestiges d'un recueil conçu contre le modèle des Amours alors en vogue: l'amant-poète dénonce la représentation traditionnelle de la femme aimée, qui le porte à idéaliser une maîtresse repoussante, contre laquelle il vomit sa haine. Même ambivalence dans la satire "Contre la Riere-Venus", violente diatribe contre la sodomie. Cette poésie cérébrale et tendue, où la vénération de la dame glisse souvent vers la satire des conventions poétiques ou le sarcasme féroce, permet au poète de reconquérir une voix personnelle contre un code amoureux aliénant, qui menace toujours de priver la singularité du sentiment amoureux d'un langage adéquat.