Les cadres de l'expérience
L'héritage pragmatique a consigné notre expérience dans un univers stratifié, fait de multiples réalités. Chacune nous impose sa perspective ou son schème, son cadre.
Une séquence quelconque de notre expérience ordinaire, une épreuve décisive ou une expérimentation - tout comme une fiction dramatique, une répétition, un rite ou un jeu - sont naturellement et socialement cadrées. C'est ainsi que nous savons comprendre ce qui se passe dans une situation et raconter ce qui nous est arrivé. C'est ce à quoi nous employons le plus clair de notre temps, dans nos conversations quotidiennes et dans nos débats publics.
Loin de se contenter d'une distinction des domaines d'activité selon leur nature et le cadre qui leur « conviendrait », et loin d'accorder à l'acteur le pouvoir de construire ses situations, Goffman, fidèle spectateur et inlassable observateur de nos impostures, s'acharne à explorer les transformations de cadres, les fabrications et machinations, mais aussi les défaillances et les troubles de l'engagement qui fondent la richesse d'un monde toujours en suspens sur la vulnérabilité de notre expérience.
Face à toutes les figures sociales de l'imposteur - le malin génie des cadres - notre attention se schématise et nous apprenons à réparer : ancrage de l'activité, justifications, narrations. Et dans cette création continuée du lien social, la dramaturgie du monde s'enrichit d'une strate de plus, quitte à contraindre le malin génie à se montrer toujours plus compétent.