A la fin du XIXème siècle, la littérature fantastique choisit pour personnage privilégié un type social émergent, le célibataire. Le profil désabusé du vieux garçon et l'imaginaire qui s'y rattache, enluminé de décadence - misogynie, misanthropie, réclusion, esthétisme, dandysme - impliquent une modification des effrois de cette littérature en même temps qu'un bouleversement de ses thèmes, de ses motifs et de sa poétique.
Ces effrois s'inscrivent d'abord dans un nouvel espace, réduit au chez-soi célibataire, aux murs clos de ce refuge, et surgissent de la seule peur de l'autre et de son intrusion. Il s'agit également d'un fantastique qui s'intériorise en se concentrant sur l'identité fragile du personnage, et qui se plaît à transformer le narcissisme fondamental du célibataire en horreur ou en dégoût de sa propre personne, ce qui, là aussi, suppose l'expression de nouvelles esthétiques de l'angoisse. Ce fantastique développe enfin un érotisme inédit marqué par les désirs pervers et extravagants du célibataire : homosexualité, fétichisme, libido sciendi et surtout nécrophilie. L'amour des mortes, qui permet de vivre des amours infécondes, le pousse en effet à se comparer aux grands amants des mythes d'hier : Pygmalion, Orphée, Narcisse. Ces fantômes jaillis du désir frustré achèvent alors de faire du célibataire l'élément central d'un fantastique fin-de-siècle qui a su économiser les figures expressives auxquelles plus personne ne croit.