Avec Les Conjectures (1441-1443), la philosophie de Nicolas
de Cues connaît un tournant essentiel qui conduit à une reconfiguration
générale de l'oeuvre. Cela tient à la nouvelle compréhension
cusaine de l'altérité sur la base du caractère symbolique
des conjectures.
Mettant en cause la tradition théologico-philosophique, Les
Conjectures proposent, selon une expression lullienne, un art
général des conjectures, c'est-à-dire une nouvelle méthode pour
les arts d'investigation.
Privilégiant la modélisation de l'objet mathématique et
de l'organisme vivant, Les Conjectures amorcent en effet une
révolution gnoséologique, fondée sur une réflexion théologique :
comment la vérité en soi qu'est Dieu - inatteignable dans son
exactitude - peut-elle fonder mon savoir comme savoir d'une
vérité inexacte sans en invalider la prétention de savoir ? Cette
question sera désormais centrale dans l'oeuvre cusaine.
Dès lors, Les Conjectures fondent une philosophie de l'esprit :
c'est dans le déploiement du sens, toujours symbolique, que chaque
conjecture peut être plus ou moins vraie. Chacun fraie là son
chemin singulier en déployant les dimensions de son humanité.
L'agir humain se mesure alors à la capacité singulière de l'individu
à se reconnaître comme mens : cette découverte l'amène à
développer sa propre créativité mentale en explorant et en fondant
tous les domaines de savoir.
L'appareil critique de cette traduction a été élaboré avec
soin : plus de 600 notes explicitent les références implicites aux
auteurs de la tradition philosophique et théologique et éclairent
les choix de traduction. Un glossaire précise le sens des concepts
principaux des Conjectures et des autres oeuvres de Nicolas de
Cues.