Quel rapport entre l'existence d'une oeuvre d'art et celle d'un être
vivant ? Entre l'existence de l'atome et celle d'une valeur comme la
solidarité ? Ces questions sont les nôtres à chaque fois qu'une réalité
est instaurée, prend consistance et vient à compter dans nos vies,
qu'il s'agisse d'un morceau de musique, d'un amour ou de Dieu en
personne. Comme James ou Deleuze, Souriau défend méthodiquement
la thèse d'un pluralisme existentiel. Il y a, en effet, différentes
manières d'exister, et même différents degrés ou intensités d'existence
: des purs phénomènes aux choses objectivées, en passant par
le virtuel et le «sur-existant» dont témoignent les oeuvres de l'esprit
ou de l'art, tout comme le fait même de la morale. L'existence est polyphonique,
et le monde s'en trouve considérablement enrichi et élargi.
Outre ce qui existe au sens ordinaire du terme, il faut compter avec
toutes sortes d'états virtuels ou fugaces, de domaines transitionnels,
de réalités ébauchées, en devenir, qui sont autant d'«intermondes».
Servi par une érudition stupéfiante qui lui permet de traverser d'un
pas allègre toute l'histoire de la philosophie, Souriau donne les
éléments d'une grammaire de l'existence. Mais son enquête se veut
aussi une introduction à «la pratique de l'art d'exister». À quoi
nous attachons-nous précisément lorsque nous aimons un être ?
À quoi nous engageons-nous lorsque nous nous identifions à un
personnage de roman, lorsque nous valorisons une institution ou
adhérons à une théorie ? Et finalement, quel(s) mode(s) d'existence(s)
sommes-nous capables d'envisager et d'expérimenter pour
nous-mêmes ? Questions métaphysiques, questions vitales.
Cette nouvelle édition est précédée d'une présentation d'Isabelle
Stengers et Bruno Latour intitulée «Le sphinx de l'oeuvre». Elle inclut
également un article d'Étienne Souriau, «Du mode d'existence de
l'oeuvre à faire» (1956).