L'« Esprit Bektachi » règne dans le monde turc depuis les temps de l'Empire ottoman. Le derviche Bektachi est un homme de religion, une sorte de moine musulman. Généralement « pauvre devant Dieu », il pourrait être un mendiant, un saint mystique vénéré des foules ou un fou socialement irrécupérable. Celui dont on a ici rassemblé les propos est un dénonciateur de la bigoterie, du formalisme rituel, de l'hypocrisie sociale et du fanatisme idéologique.
Dans la tradition populaire, l'« Esprit Bektachi » est transmis au travers d'historiettes, de blagues et de diverses plaisanteries que l'on appelle en turc fikra, hikaye ou dedikler. Ces historiettes reflètent fidèlement la liberté de l'individu face aux contraintes sociales et religieuses, l'indépendance de l'Esprit par rapport à la lettre et de l'universalisme mystique face à l'exclusivisme confessionnel.
Les armes du Bektachi sont pacifiques mais redoutablement efficaces : la moquerie qui fait mouche, le refus d'obtempérer, l'individualisme du libre penseur, ou plutôt d'un penseur libre, la transgression religieuse pratiquée avec constance et application comme un art de vivre. Le Bektachi turc n'est pas pour autant une réplique orientale des « anti-calotins ». Non seulement il est déiste mais c'est un mystique, un soufi, dit-on en Islam, tenant de la « religion du Coeur » qui transcende rites et institutions religieuses extérieures et, partant, en dispense le vrai chercheur de Vérité qui trouve Dieu en lui-même.