Les égarements du coeur et de l'esprit
"En achevant ces paroles, elle baissa les yeux, comme si elle eût été honteuse de m'en avoir tant dit. Malgré le tour sérieux que notre conversation avait pris sur sa fin, je me souvenais parfaitement du ridicule que Madame de Lursay avait jeté sur mes craintes. Je la pressai tendrement de me regarder ; je l'obtins. Nous nous fixâmes. Je lui trouvai dans les yeux cette impression de volupté que je lui avais vue le jour qu'elle m'apprenait par quelles progressions on arrive aux plaisirs, et combien l'amour les subdivise. Plus hardi, et cependant encore trop timide, j'essayais en tremblant jusques où pouvait aller son indulgence. Il semblait que mes transports augmentassent encore ses charmes, et lui donnassent des grâces plus touchantes. Ses regards, ses soupirs, son silence, tout m'apprit, quoique un peu tard, à quel point j'étais aimé. J'étais trop jeune pour ne pas croire aimer moi-même. L'ouvrage de mes sens me parut celui de mon coeur. Je m'abandonnai à toute l'ivresse de ce dangereux moment, et je me rendis enfin aussi coupable que je pouvais l'être."
L'oeuvre de Crébillon mêle le scepticisme le plus subtil à l'érotisme le plus délicatement bouffon. C'est une des plus belles et des plus intelligentes proses du XVIIIe siècle.
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