Les romans et les essais de Virginia Woolf représentent l'existence humaine emmurée entre l'Empire et la guerre, soit deux formes de guerre, deux manières de donner forme (ou absence de forme) aux rapports humains qui rendent les vies insoutenables. Que telle puisse être l'alternative fait de la coexistence des êtres humains - et de leur coexistence avec les autres êtres - un problème aigu, posé et renouvelé au fil de l'oeuvre. Comment organiser et représenter la multiplicité brute, la diversité des vies et des consciences, sans qu'il y ait immédiatement capture, sans que la mise en forme referme le champ des relations et des manières de vivre possibles, sépare, classe et hiérarchise, c'est-à-dire prépare, et déploie déjà, la guerre ? En matière d'art comme en matière de politique, la question est la même : comment donner forme à la vie sans la perdre, sans la soumettre de force à un plan - celui du roman ou celui du programme politique - qui en l'organisant risque de la détruire ?