« Quelle chance d'être né au monde sur les collines de Tipasa. Et non à Saint-Etienne ou à Roubaix. Connaître ma chance et la recevoir avec gratitude », écrivait Camus en janvier 1955. Etre né, vivre sur une terre splendide, l'Algérie, était ressenti par presque tous les Français comme une « chance ». Un jour, cette condition fut perçue par les « métropolitains » comme une « faute » appelant condamnation. Ce livre explore cette tragédie. Qui étaient les Français d'Algérie? Ils sont issus d'une histoire courte - cent trente-deux ans -, houleuse, faisant alterner des pages heureuses et douloureuses, tissées de contradictions sans issue. On les fait entendre ici grâce à des entretiens menés auprès de cent soixante-dix Français d'Algérie, aux conditions et aux métiers variés, de tous les âges, de toutes les origines, vivant dans les lieux les plus différents. Quel point commun y a-t-il entre vivre à Alger et vivre à Trézel ? Bref, une société bigarrée, complexe, singulière.
Pour comprendre les Français d'Algérie, on a remonté le temps, jusqu'à la longue et meurtrière guerre de conquête. On voit qu'ils sont les fils de l'idéologie triomphante de la IIIe République qu'elle forgea à sa naissance et imposa dans la première moitié de xxe siècle. L'intégration remarquable de cette communauté, les résultats éclatants de quelques-uns ne peuvent empêcher que s'expriment encore de l'amertume chez beaucoup de ces exilés et le regret ardent d'un pays qui n'existe plus.
Jeannine Verdès-Leroux, directeur de recherche C.N.R.S. à la Fondation nationale des sciences politiques, a entrepris cette recherche après des travaux sur le parti communiste, les intellectuels et la culture (Au service du parti, 1983 ; Le Réveil des somnambules, 1987) ; sur les intellectuels d'extrême gauche et la révolution cubaine (La Lune et le Caudillo, 1989) ; sur la politique et la littérature à l'extrême droite, des années trente à la Libération (Refus et violences, 1996).