Quelle histoire ! Séducteur, né d'un arbre à myrrhe, jeune homme à
semence foisonnante, Adonis, par excès de puissance sexuelle, est
condamné à l'impuissance : il est voué aux laitues, plantes froides et
humides, qui passent pour être une nourriture de morts et un antiaphro-disiaque.
Ses fameux «jardins» ne sont pas davantage des charmes destinés
à réveiller la fertilité de la terre ; ce sont des cultures sans fruits, des
jardins stériles, transportés sur les toits, où l'éclat du soleil caniculaire
les fait pousser jusqu'au vert en quelques jours et, sans transition, les
dessèche sur pied.
Ce jardin frivole qui consiste à faire rôtir par Sirius certaines espèces horticoles
et céréalières (fenouil, blé, orge, laitue) va de pair avec une fête où
le dévergondage des femmes s'autorise des relations d'amant à maîtresse
qui s'établissent entre Adonis et Aphrodite. Les aromates provoquent
une véritable perversion de la «vie cultivée», aussi bien de la culture des
plantes que des relations conjugales.
«En vérité, dit J.-P. Vernant, c'est Peau d'Âne qui nous est une nouvelle
fois conté, mais au plaisir enfantin de l'entendre s'associe maintenant
la lecture savante [...] de ces multiples codes emboîtés les uns dans les
autres qui nous donnent les clés de tout un univers mental [...], déconcertant
encore qu'à certains égards familier, comme si c'était à travers des
histoires fantastiques, des récits merveilleux que les Grecs avaient le plus
clairement livré l'alphabet dont ils se sont servis pour épeler le monde en
la façon qui leur est propre et que Detienne nous aide à déchiffrer.»