Les livres que je n'ai pas écrits
Un vieux dicton - une malédiction peut-être - veut que l'on souhaite à son ennemi de devoir écrire un livre.
Sept, rajoute George Steiner, comme le temps de la Création, comme le nombre de branches du chandelier.
Que ces livres Steiner ait jamais voulu les écrire réellement, peu importera au lecteur. On le croira volontiers dans certains cas, où il n'est pas jusqu'au plan qui ne nous soit exposé. On en doute dans d'autres où le sujet annoncé est prétexte, à la manière de Montaigne, à dériver vers un autre propos, plus autobiographique.
En ouverture, la mésaventure du jeune journaliste Steiner qui entreprend de se lancer dans la biographie d'un monstre sacré de la sinologie occidentale, Joseph Needham, l'auteur d'une impressionnante histoire de la science en Chine, inachevée malgré ses huit forts volumes. L'occasion toute trouvée de s'interroger sur ces oeuvres continents qui finissent par n'avoir d'autres fins que de se maintenir en vie, par leur inachèvement.
Les oeuvres suscitent souvent des jalousies qui frisent chez certains sujets la démence criminelle, comme le poète Cecco d'Ascoli qui, toute sa vie, se jugea persécuté par la splendeur de Dante. Qu'est-ce que vivre à l'ombre de génies reconnus, quand on n'est soi-même qu'un brillantissime esprit ?
Nous entrons dans la sphère intime de Steiner, qui parlera tour à tour du sexe dans différentes langues, de son rapport à Israël ou à la culture européenne à travers la crise des humanités au profit des sciences exactes, sans oublier la grande question - celle de ses convictions politiques.
Chemin faisant, le lecteur est promené à travers siècles et continents par l'auteur. Si ce dernier n'a pas écrit ces livres, ne serait-ce pas qu'il n'entendait répondre directement à aucune des sept questions ?