En 1978, dans la province de Misiones, Argentine, deux communautés indiennes guaranies fondèrent chacune un village et prirent en charge leur propre développement, avec le soutien de professeurs bilingues et de personnels - un médecin, un dentiste, un ingénieur agronome, un menuisier - recrutés et rémunérés par l'Institut Antonio Ruiz de Montoya. Cette expérience d'autogestion, en cours dans les deux localités de Fracrán et Peruti, ne tarda pas à acquérir valeur de modèle pour les autres communautés guaranies de la Province. Mais en même temps, elle suscitait l'irritation, le scepticisme ou simplement l'indifférence des membres de la société. Pour ceux-ci, les vrais Indiens étaient ceux des Réductions jésuites (1609-1768) qui n'avaient rien à voir avec les indiens actuels qui, au mieux, n'étaient que des péons bon marché au service des agriculteurs ou se contentaient de vendre les produits de leur artisanat aux touristes dans les villes et au bord des routes. Ils en voulaient aux promoteurs du projet, des naïfs qui croyaient au changement de statut de « ces pauvres Indiens ignorants et paresseux par nature ». Ils pensaient que, au terme de dix ans, durée de l'accord entre les deux villages et l'Institut Montoya, l'expérience s'effondrerait. Cette étape (1978-1989) fait l'objet de la première partie du présent ouvrage, qui reproduit l'essentiel de notre livre Retour au Paraná (1993), aujourd'hui épuisé.
La deuxième partie, qui s'étale sur un peu plus de vingt ans, de 1989 à 2012, inflige un démenti formel aux préjugés des sceptiques et des contempteurs. Les communautés guaranies se sont multipliées. Dans la plupart d'entre elles et particulièrement à Fracrán et Peruti, les habitants défient les obstacles, les contraintes, les difficultés, faisant preuve de ténacité et leurs leaders de discernement. À partir des années 1990, la législation internationale et, en conséquence, la jurisprudence nationale et provinciale ont franchi un pas considérable en reconnaissant la préexistence des peuples originaires, en qualité de « nations » ayant droit à promouvoir leur langue, leur culture, leurs valeurs, leur religiosité, et en leur conférant le statut juridique de citoyens à part entière. Mais la reconnaissance juridique n'est pas tout. Ayant reçu une formation élémentaire à l'école du village, souvent suivi le cycle secondaire dans une proche localité et parfois même étudié une discipline à l'université, la jeune génération occupe avec succès des postes divers rémunérés par l'État ou exerce des métiers appréciés dans les secteurs public et privé. Les Guaranis de Misiones, spécialement les Mbyas, sont en train d'acquérir la reconnaissance sociale à laquelle ils aspirent, fiers de leur promotion de citoyens libres.