Parler, c'est chercher le dernier mot. C'est courir après
un horizon où tout serait dit, enfin, où serait atteinte
une Totalité idéale qui nous échappe sans cesse. Il y a un
charme de l'Un. C'est un charme ambigu. Il peut être
vénéneux. Promettant d'apaiser «le trouble de penser et
la peine de vivre» (Tocqueville), il est le moteur de cette
servitude volontaire que dénonçait pour s'en étonner La
Boétie. Il fait la force des totalitarismes. Mais c'est aussi
dans cette communion dans l'identique que Montaigne
voyait l'absolu de l'amitié avec ce même La Boétie.
Le langage est l'instrument essentiel des totalitarismes :
la langue est en elle-même «fasciste», osait Barthes, car
elle contraint à une découpe imposée du réel. Mais c'est
aussi par le langage que la poésie met au monde ce qui
n'était qu'en souffrance de se dire. La psychanalyse se
tient et opère au coeur même de ce paradoxe.
Ce livre soutient une thèse : c'est une capacité trop
méconnue, trop peu explorée de l'âme, goûtant en elle-même
le mouvement des sensations, qui surmonte ce
paradoxe et permet d'en éviter les écueils : la sensualité.