Le récit que nous lisons paraît après de longues années de silence. Pour
mesurer la difficulté et le courage de l'aventure collective - témoignage
puis écriture -, il faut savoir que ces trois femmes, au seuil de leur vie
d'adulte, - ce moment de la vie où éclatent l'espérance et l'utopie -
ont vécu une cassure dans leurs corps et leur âme : l'horreur de la
répression, de la torture, de l'exil. Elles n'ont pas pu témoigner, mettre
en mots, dénoncer, puis construire un récit de ce qu'elles ont subi que
de nombreuses années après les faits. Elles écrivent aujourd'hui à plus
de cinquante ans. Qu'elles mesurent dans leur corps, les séquelles des
tortures. Qu'elles constatent chez leurs enfants et leurs petits-enfants les
traces de la répression.
Il faut savoir qu'elles ont porté le poids des absents, qu'elles ont témoigné
pour ceux qui ne pouvaient parler, pour ceux qui gardent le silence
- parce que c'était trop dur, dangereux, enfoncé dans l'ordre de l'indicible -
et aussi parce que beaucoup sont morts assassinés. Elles désirent
comprendre que la mort de leurs camarades et leur vie a un sens pour
elles, pour leurs enfants et leurs petits-enfants, qu'il a un sens pour la
reconstruction, le changement du Chili !