Jamais, avant le XXe siècle, le corps humain
n'avait connu de tels bouleversements.
Ces profondes transformations, ressenties
à même la chair, sont tout autant mutation
des regards qu'on a portés sur lui.
Le déplacement du rapport entre santé et maladie, corps normal et corps
anormal, vie et mort dans une société médicalisée de part en part ; le
relâchement de disciplines héritées du passé, la légitimité accordée au
plaisir en même temps que l'émergence de nouvelles normes et de nouveaux
pouvoirs, biologiques et politiques ; la recherche du bien-être individuel et
l'extrême violence de masse, le contact des peaux dans la vie intime et la saturation
de l'espace public par la froideur des simulacres sexuels : tels sont quelques-uns
des paradoxes et des contrastes au sein desquels s'est constitué le rapport du
sujet contemporain à son corps.
Un autre enjeu surgit alors : interroger le corps en ce siècle heureux et tragique
n'est-il pas une manière de poser la question de l'humain ? À l'heure où
prolifèrent les corps virtuels, où s'échangent le sang et les organes, où s'estompe
la frontière entre le mécanique et l'organique, où l'on s'approche de la programmation
de l'espèce et de la réplication de l'individu, il est plus que jamais nécessaire
d'éprouver la limite de l'humain : «Mon corps est-il toujours mon corps ?»
L'histoire du corps ne fait que commencer.