« Ces décollages nocturnes s'organisaient autour du lustre de sa chambre d'enfant. Trois canards sans relief découpés dans du bois peint, gris vert et bleu, portaient dans leurs becs des ampoules de 25 watts que sa mère éteignait après le baiser du soir. Effet de la mémoire affective, il semblait à Vincent que leurs silhouettes restaient gravées sur ses rétines malgré le noir profond exigé pour obtenir le sommeil et le masque posé sur ses paupières. Au cours des instants qui précédaient son endormissement, il s'élevait vers leurs ailes entrouvertes dans un battement immobile pour répondre à leur invite, conscient de braver la pesanteur sans remettre en cause l'ordre du monde. Il se déplaçait dans une dimension différente de l'espace et du temps où les lois n'obéissaient plus à la physique. »
Famine, marché noir, grèves générales, misère, naissance de la guerre froide accompagnent Vincent Colas à son entrée dans le monde du travail. En multipliant les expériences téméraires, la dure réalité l'amène au bord de la schizophrénie, puis de la délinquance. Dans ce récit d'aventures puisé à une adolescence tumultueuse, la France de l'après-guerre y est rendue d'une manière incroyablement vivante. En relief et en couleurs, Les Nuits de l'aviateur est un texte tendu, nerveux qui s'attaque aux tabous d'une société ankylosée. Ce roman d'apprentissage se veut l'histoire d'une reconquête, celle de l'écriture que Vincent avait entrevue dans son enfance, sous le masque du sommeil que sa mère lui attachait chaque soir sur les yeux.