Quand je vous reverrai, Sultan, mon bien-aimé, je parlerai, parlerai... Moi Schéhérazade, je ne cesserai de vous raconter des folies, des rêves, des merveilles, afin que vous ne partiez pas, pour qu'il y ait une nuit après une nuit.
Je parlerai pour oublier que vous ne m'aimez pas, pour oublier que vous m'avez à peine regardée, que vous craignez ma beauté et que vous souhaitez ma mort.
Je parlerai pour vous consoler, pour bercer le monde et enchanter ma douleur. Je parlerai pour que se lève le jour et que s'approche, à peine voilèe, la Divinité.
Je ferai danser cette chambre où vous et moi sommes reclus, je jouerai de votre désir et de votre curiosité, je bafouerai vos ordres de despote ombrageux. Je serai le cours de la lune, l'alphabet des oiseaux, le secret des amants. Je ferai reculer les murs, les tentures, les frontières et la mort. Je serai l'aurore en votre coeur.
L'amour est un conte et le conte d'amour est ma spécialité, ma seule spécialité de femme orientale, de femme entêtée à croire en la beauté.
Shariar, écoutez-moi. Le conte d'amour n'existe que si l'on croit au conte. Venez en mes songes, en mes fables. Aimez-moi, c'est-à-dire rêvez-moi...
Jacqueline Kelen, productrice à France Culture, a déjà publié aux éditions Albin Michel : Un amour infini ; Marie-Madeleine prostituée sacrée et Les Femmes de la Bible.