Qui, aujourd'hui, se préoccupe des os et des cendres des personnes
décédées ? Personne, est-on tenté de répondre, tant on répète à l'envi
que notre société individualiste vit dans le déni de la mort.
Et pourtant, l'enquête d'Arnaud Esquerre révèle que l'État ne s'est
jamais autant soucié des morts. Retirant à l'Église son contrôle sur le
devenir des cadavres, il a en effet étendu son emprise sur le territoire
des os et des cendres.
Or, depuis les années 1970, le rapport aux restes humains s'est profondément
modifié, avec le recours de plus en plus massif à la crémation,
les demandes de restitution de restes humains à des «peuples
autochtones», la médiatisation des profanations de cimetières ou encore
le développement des analyses ADN et de l'imagerie médicale. Face
à ces bouleversements, les pouvoirs publics déploient une nouvelle
politique : interdire que les morts, même réduits en cendres, séjournent
ailleurs que dans l'espace public, empêcher ou limiter l'exposition de
restes humains, transformer l'atteinte aux morts en un délit d'expression.
Derrière ces changements majeurs des rapports entre les os, les
cendres et l'État transparaît une manière inédite d'appréhender la
communauté, les personnes et les corps, méconnue et passionnante.