À compter de 1916, les « paradis artificiels » chers à Baudelaire relèvent en France d’une loi pénale adoptée sous la pression du mouvement prohibitionniste international et d’une opinion publique devenue réticente. Désormais, les produits définis comme « stupéfiants » (opium et ses dérivés tels la morphine et l’héroïne, cocaïne et haschich) sont étroitement contrôlés, réservés aux usages strictement thérapeutiques, tandis que leur commerce illicite est sévèrement réprimé. C’est donc dans la période de l’entre-deux-guerres que s’élaborent les enjeux contemporains de « la question des drogues » : « clandestinisation » des pratiques, mise en place d’un marché parallèle, répression des fraudeurs, marginalisation de certaines catégories d’usagers. Fondé sur le dépouillement minutieux des archives judiciaires, que complète une ample documentation médicale, journalistique et littéraire, ce travail adapté d’une thèse de doctorat analyse les modalités et les conséquences de cette mutation majeure. Étudiant successivement le mouvement de l’opinion publique, la sociologie et les pratiques des usagers, leur sort judiciaire et thérapeutique, il interroge les effets et l’efficacité du modèle répressif dans la genèse de son élaboration. À travers le devenir du consommateur de stupéfiants, ce sont aussi toute une série d’évolutions anthropologiques et culturelles qui se trouvent abordées : celles du rapport dialectique entre progrès de l’hygiénisme et redéfinition des frontières somatiques, progrès parallèle du contrôle social et de la liberté individuelle. La question des drogues jette ainsi un éclairage original et novateur sur une période qui fut, à bien des titres, un laboratoire de la modernité.