Dans les sociétés antiques et modernes, les pauvres peuvent-ils « donner de la voix » ? Rarement car ils n'en ont pas les moyens : on prétend ne les voir ni ne les entendre, et le cas échéant, on saura les museler férocement.
Aussi, en prétendant parler au nom des pauvres, les Pères de l'Eglise veulent s'inscrire dans le sillage des prophètes bibliques, défenseurs des déshérités, et de Jésus de Nazareth qui s'était présenté d'abord comme « un messie pour les pauvres » (Lc, 4, 21). Or cette prise de parole se fait dans un contexte socio-économique où les petits, les humiliores, sont nécessairement « aphones » car c'est justement un des traits caractéristiques de la pauvreté que d'être privé de l'accès à la parole, de l'art du discours et de la culture de la paideia, seuls marqueurs d'une pleine humanité aux yeux des hommes de l'Antiquité.
Sans revenir sur le phénomène général de la pauvreté et de la paupérisation dans l'Antiquité tardive, le colloque de La Rochelle entend préciser la nature des relations unissant les responsables des communautés chrétiennes et les hommes et les femmes vivant en grande précarité. Les Pères de l'Eglise, bien que souvent issus d'un milieu social aisé à l'instar d'Ambroise de Milan ou Basile de Césarée, vont faire le « choix prioritaire » des pauvres en devenant leurs porte-parole et leurs protecteurs face à l'insouciance ou l'arrogance des puissants. Dans cette perspective, le colloque de La Rochelle dégage un certain nombre de conséquences sociales, économiques et pastorales qui découlent de cette prétention à faire des pauvres des partenaires du dialogue social et spirituel.
Ainsi, à partir des exigences évangéliques et des opportunités sociales, émergent au IVe-Ve s. une culture et une façon d'appréhender l'humanité qui vont perdurer jusqu'à nous et qui nous interpellent toujours sur la place que nous faisons réellement aux « sans droit » et aux « sans voix » aujourd'hui. Il s'agit bien de laisser la parole à l'autre et même de faire silence devant ceux que Paulin de Nole appelait « nos seigneurs les pauvres ».