«Chaque vers est enfant de l'amour» écrivait Marina
Tsvétaïéva. Mais si l'exacerbation amoureuse, l'intensité de
la passion, est effectivement une des caractéristiques de
son oeuvre, ce qui frappe avant tout, au-delà de la liste infinie
des «muses» masculines ou féminines, c'est qu'elle
n'est que très peu assimilable à la poésie amoureuse, classique
ou moderne. Il s'agit non pas tant de chanter,
célébrer, sanctifier l'objet de sa passion, son propre sentiment,
de mettre en scène l'épiphanie de l'amour ou la
souffrance de la séparation, que de fonder sa poésie, donc
son être même, sur un «absolu de l'amour» antérieur au
monde et qui trouve sa plus parfaite expression dans le
langage fondateur.
La poétique de la rupture, propre à Tsvétaïéva, déterminait
elle-même dans une grande mesure son comportement
amoureux. Le traducteur s'est par conséquent efforcé de restituer
les articulations sémantico-prosodiques de cette
«étreinte de poésie» qui, lorsqu'elle aura reflué, ne pourra
déboucher que sur la mort. «Puisque j'aurai pu cesser
d'écrire des poèmes, je pourrai aussi un beau jour cesser
d'aimer. Alors, je mourrai. Et ce sera bien sûr un suicide, car
mon désir d'amour est tout entier désir de mort», avait-elle
consigné dès mars 1919 avec une précision cliniquement
prémonitoire. Marina Tsvétaïéva, un des plus grands poètes
russes, avait choisi l'exil en 1922 puis était rentrée en Union
Soviétique dix-sept ans plus tard, avant de se prendre à une
vieille poutre le dernier dimanche du mois d'août 1941.