Moby Dick est peut-être avant tout un grand roman sur
la lecture. Car le lecteur de Melville, quel qu'il soit, est
déjà inclus, compris dans le texte.
Toujours plus gonflé, le livre-monstre, véritable Léviathan
textuel, semble engloutir le monde et avaler jusqu'à
celui qui l'ouvre, tel un nouveau Jonas. Le texte-baleine,
absorbant aussi d'autres corps écrits (des nouvelles
comme L'homme paratonnerre ou Moi et ma cheminée,
des romans comme Israël Potter ou Pierre et les ambiguïtés),
présente ainsi d'innombrables allégories de la lecture,
décrite en termes de pêche, de cartographie, de navigation,
de fuite, de naufrage ou de percée.
Si un tel livre ne saurait donc être simplement lu, c'est
qu'il lit à son tour : non seulement ses propres lecteurs,
mais aussi la Bible, ou encore le Léviathan de Hobbes et
sa théorie de l'État. Et dès lors, ce qui s'envoie ou se promet,
c'est une dimension prophétique du lire. Elle se lèvera
dans le vent de la tempête et annoncera la venue de
l'avenir.
P. Sz.