Les pièces d'Andrei Amalrik aujourd'hui publiées en édition française ont joué dans la persécution dont l'auteur a été et continue aujourd'hui d'être la victime, un rôle qu'il n'est pas inutile de rappeler. Ce sont en effet les juges d'Amalrik, alors accusé de "parasitisme", qui furent les premiers lecteurs de ces pièces. Ils purent en prendre connaissance dès 1965 dans les manuscrits saisis chez l'auteur par la police. Cette lecture amena les juges d'Amalrik à ajouter, contre lui, à l'accusation de parasitisme, celles de "pornographie" et d'"antisoviétisme". Il en résulta la condamnation que l'on sait, qui devait donner plus tard à Amalrik l'occasion d'écrire son fameux Voyage involontaire en Sibérie.
Le lecteur français a aujourd'hui la possibilité de saisir quel sens exact prennent ces mots : pornographie, antisoviétisme, dans le langage des dirigeants du pays. Nous nous trouvons en fait devant un théâtre dont l'auteur lui-même reconnaît qu'il a été influencé par celui d'Ionesco et de Samuel Beckett. Rencontre heureuse, on s'en aperçoit d'emblée, car, loin d'imiter les procédés du "théâtre de l'absurde" tels qu'ils sont pratiqués en Occident, Amalrik les intègre à une tradition avec laquelle il entretient visiblement des rapports autrement intimes et puissants, celle du burlesque russe, si bien que la fantaisie souvent effrénée, l'outrance presque constante des mots, des gestes et des "situations" pousse ce théâtre jusqu'aux frontières du cirque.
Les allusions à la sexualité, à l'impuissance, à l'homosexualité sont certes fréquentes, thèmes dont il faut croire qu'ils sont encore "tabous" dans l'actuelle société soviétique, car loin d'atteindre aucunement aux complaisances de la pornographie, ils sont abordés ici sur le ton de la simple drôlerie, et parfois même ne font que tourner en dérision la manie - ou la mode - de l'"érotisme". Ces farces, d'autre part, stigmatisent il est vrai l'hypocrisie, le conformisme, la sottise bureaucratique, l'incapacité prétentieuse des technocrates, la platitude des arrivistes "littéraires", l'espionnite des fonctionnaires : bref, des travers ou des vices qui ne sont pas d'aujourd'hui, même s'ils sont ici situés, et auxquels aucun pouvoir politique ne devrait pouvoir s'identifier officiellement, comme il le fait lorsqu'il traite en ennemi celui qui les dénonce : ainsi la monarchie absolue dut-elle supporter tant bien que mal les "farces" de Molière.
En dehors même de ce contexte politique et de "moralité" pénale, le lecteur ne pourra pas ne pas être sensible au souffle d'air frais, tout à fait exceptionnel dans l'actuelle littérature soviétique, qui passe dans ces pièces.