Les québécois
Mais qu'ont-ils de si spécial, ces francophones d'Amérique du Nord qu'on appelle communément « cousins » et qu'on adore sans vraiment les connaître ? Peut-être cette façon si particulière d'être libres. Libres de parler encore français dans un océan anglophone, libres de rester sur leur quant-à-soi, ni tout à fait dans ni tout à fait hors du Canada. Libres de manifester des valeurs distinctes et de se mobiliser ardemment pour les défendre : l'accès au savoir, la place du collectif, l'égalité homme-femme, la concertation. Décomplexés à l'image de leurs artistes qui rayonnent dans le monde, les Québécois osent et innovent sur la scène internationale. Pour mieux vous en parler, nous avons visité une des 1 300 coopératives d'habitation de la province, leader mondial de l'entrepreneuriat collectif, arpenté un nouveau quartier « solidaire » de Montréal, voyagé dans les lointaines régions d'un Nord méconnu mais tant convoité. Nous avons rencontré des entrepreneurs audacieux, des militants de la nouvelle génération, des artistes qui réinventent leur folklore, des « néo-Québécois » d'origine hongroise, marocaine ou vietnamienne qui tentent des accommodements raisonnables pour inventer un vivre-ensemble réussi. Des « pure laine » affranchis de leur passé de Canadiens français et qui se cherchent de nouveaux héros, des Anglo-Québécois qui sortent du placard et des autochtones revendiquant leur empreinte culturelle. Un peuple bouillonnant de créativité, obsédé par le consensus, ambivalent, joyeux, soucieux du bien commun, qui cherche avec audace à conjuguer identité nationale, citoyenneté ouverte et mondialisation.
Céline Boyer, artiste photographe, a invité des personnes d'origines différentes à témoigner sur leurs ancêtres, leurs racines. La série de photographies
Empreintes
(publiée aux éditions Parenthèses en 2013) mêle le tracé cartographique de leurs origines au « portrait » d'une main à chaque fois unique.
Emblématique, cette main personnifie la collection « Lignes de vie d'un peuple », centrée sur la vie réelle des gens. En couverture, la main de Gérard, Québécois :
Gérard, 53 ans
Je m'appelle Gérard Lamarche, j'ai 53 ans et je suis un Québécois « pure laine », comme on dit chez moi. Mon ancêtre paternel est arrivé de Vay, en Normandie, le 13 septembre 1665 exactement. Soldat au service du roi Louis XIV en Nouvelle-France, il s'appelait Jean Bricault, dit Lamarche. C'est son patronyme que ma lignée a adopté. Côté maternel, j'ai un ancêtre anglais, de Jersey. Un mécanicien pour les grandes compagnies de pêche, débarqué un beau jour sur les côtes canadiennes au début du XXe siècle pour ne jamais repartir. Sans doute aussi que j'ai un peu de sang amérindien, mais ça, on ne le sait jamais, les curés n'enregistrant pas les noms des « sauvages » dans les baptistères... Mais on me dit souvent que j'ai une « gueule d'Indien ». Je n'en sais guère plus. Le passé ne m'intéresse pas beaucoup, contrairement aux Français. Je suis un vrai Nord-Américain, tourné d'abord vers l'avenir. Mais ce que je sais, au plus profond de moi, c'est que le Québec est ma terre, mes racines. Le Québec, pas le Canada.
Je suis francophone, d'origine catholique et non anglophone et protestant. Molière me parle, pas Shakespeare...
Aujourd'hui, je suis aussi un peu parisien. Je vis dans la capitale française depuis que j'y ai suivi ma « blonde », une Française émigrée à Montréal pendant dix ans. Elle a souhaité un jour retourner dans son pays et je l'ai suivie. Ah, ces Parisiennes ! On ne peut rien leur refuser...
Moi qui ai grandi en écoutant Brel, Aznavour, Brassens, Renaud aussi, que mes parents adoraient, moi qui ai dévoré les BD de Gothib et ri avec Devos... j'avais l'impression de revenir aux sources. Je me voyais dire avec fierté à mes chums : « Eh, je vis à Paris, moé ! «J'avais l'impression d'avoir déjà fait mille fois le tour de Montréal. À Paris, je suis heureux, j'ai trouvé ma place. Je travaille comme infographiste freelance (on dit « pigiste » chez nous), j'aime toujours ma Parisienne et j'adore me sentir au centre de toutes les cultures du monde. Et puis fini la neige et les hivers si longs. Ça, croyez-moi, on s'en passe très bien !