À l'aube des Temps Modernes, l'avenir des bourgeois du Moyen Âge n'est
pas encore tranché : ces marchands, financiers, entrepreneurs vont-ils se
fondre parmi les dominants des sociétés d'Ancien Régime, ou vont-ils faire
accepter que leur poids économique et social, devenu majeur, se traduise par
un rôle dirigeant dans la conduite des politiques ? S'il est légitime de leur
attribuer une influence décisive dans l'évolution des savoirs, des arts et de
la pensée qui colore la Renaissance et la modernité, ils ne sont jamais les
seuls à intervenir. Ils se mêlent aux laïcs qui réclament plus d'autonomie et
de liberté vis-à-vis de l'Église et de son contrôle clérical, ils sont aux côtés
des princes qui cherchent à asseoir leur pouvoir temporel souverain ici-bas,
leur influence se retrouve dans les mouvements artistiques et scientifiques,
mais il n'y a pas de bourgeoisie ni d'esprit bourgeois à l'état pur.
Leurs expériences, de l'alliance politique à l'insurrection, les ont incités à la
prudence mère du conformisme social, mais elles leur ont aussi apporté un
capital de sentiments et de ressentiments qui les a poussés à l'audace des
revendications. Sentiment de leur supériorité face aux travailleurs salariés
qu'ils commandent et sentiment de la valeur de leurs compétences s'allient
aux ressentiments et à la frustration quand ils se heurtent au mépris social
venu des nobles et des grands qui jalousent leur richesse. L'histoire de leur
future hégémonie n'est pas encore écrite mais elle se nourrira de ces
héritages contrastés et stimulants.