Vous souvenez-vous de Dire I/II de Danielle Collobert ? Ou peut-être ne connaissez-vous pas ce texte paru fin des années 70, et les plus de 20 ans qu’il a fallu attendre après la mort qu’elle s’est donnée, le jour de ses 40 ans, en 1978 donc, Collobert, pour être rééditée en 2 tomes chez POL...
Dire I/II c’est l’alternance de 2 voix, homme, femme, peu importe, les paragraphes passent de l’un à l’autre, et superposent une déambulation dans Venise et ses ruines, son eau morte, à un retour, et pareille déambulation, dans un village de Bretagne, à bout de mer. Le chemin, les images, les intérieurs aperçus, l’histoire même, tout cela suffit à en faire une expérience majeure : la littérature se joue dans notre rapport au monde, et peut se dire tout entière dans la simple façon d’appréhender les choses extérieures – il suffit de cela, une précision, un tu, un appel.... Pour Collobert, l’appel n’a pas été entendu, pas assez tôt.
De Bretagne aussi, une route qui s’en va de Saint-Brévin à la Turballe, mais dans cette même déambulation, ici fondée sur le Domaine d’Arnheim d’Edgar Poe, nous est venue La Presqu’île de Julien Gracq...
C’est dans la magie propre à ses deux textes qu’immédiatement m’a pris ce Les Sédiments de Virginie Gautier.
Ce qu’il y a de bien, à mesure que se développe un site comme celui-ci, c’est qu’on peut ne rien savoir plus, d’un auteur, que le CV standard joint à l’envoi. On apprend qu’il y a eu l’école des Beaux-Arts de Rennes, qu’il y a toujours une intervention de plasticienne, incluant des performances et des sculptures, mais aussi une réflexion sur le paysage, avec des sculptures in situ, à Morlaix, ou sur le littoral des Côtes d’Armor.
On y apprend aussi que Virgine Gautier est depuis 5 ans enseignante d’Arts Plastiques dans un collège de Seine Saint-Denis : je sais ce que je dois moi-même à cette confrontation, et comment cela peut démultiplier ce qu’on demande à la langue.
Dans ces Sédiments, le lieu est prégnant, mais toujours pris dans une cinétique, une approche, une relation. On traverse, on longe, on cherche, on contourne : extraordinaire travail sur les verbes de mouvements. Et c’est ainsi qu’on extorque aux choses, aux murs, maisons, rues, perspectives, leur empreinte rilkéenne : ce qui en fait poésie.
C’est une réflexion sur ville, périphérie, solitude, avec des phrases nominales, un poids énorme demandé à la grammaire, et la totalité de ses outils, pour qu’elle devienne invisible.
FB
Merci à Sarah Cillaire et Fred Griot pour le travail d’édition et maquette.