Un histrion rusé, un manipulateur habile et sans scrupule, un
mercenaire de la phrase, âpre au gain, seulement capable de frauduleux
raisonnements - ne dit-on pas un «sophisme» lorsque
nous voulons désigner une argutie «pas très honnête» ? - tel apparaît
le Sophiste dans une tradition largement dominante et peu
soucieuse de ses sources. Ainsi va le méchant personnage, faire
valoir et repoussoir du seul vrai Philosophe, en l'occurrence le bon
Socrate, scénographié par un Platon qui règle ses comptes.
Theodor Gomperz, éminent helléniste de la Vienne du début
du XXe siècle, mentor de Freud en la matière, est l'auteur d'une
monumentale et érudite histoire des Penseurs de la Grèce [1893-1902].
Quand il esquisse le portrait énigmatique des Sophistes,
ces nouveaux professeurs de rhétorique, qui ont fleuri au Ve siècle
avant J.-C., du temps de l'Athènes de Périclès, c'est tous les clichés
et autres préjugés qui en défendaient l'accès qui tombent les uns
après les autres ; on y découvre qu'il n'existe pas les Sophistes mais
des Sophistes, bien loin de la figure tracée par la légende ;
Gorgias, Protagoras, Prodicos, Hippias, Antiphon apparaissent
comme jamais - hommes de chair et de sang profondément
engagés dans la réalité complexe de leur temps - sous la plume
d'un Gomperz dont le style fluide, aisé ne cède en aucun cas à la
facilité.
L'étude ici présentée fait, sans le moindre doute, partie de ces
textes précieux et rares parce qu'éminemment lisibles et authentiquement
savants.