«Comment emmerder ses parents ? Voilà une question qui
tourmente chacun à son heure. Pour ceux de sa génération, elle
prend un tour tout à fait tragique. Sans le vouloir, sans parfois
le savoir, ils emmerdent malgré eux leurs parents dans le sens
où ils les ennuient. Loin des utopies, des rêves et des révoltes
légitimes, ils diffusent un ennui tout entier pétri de leur conformisme
et de leur docilité. Si, pourtant, certains d'entre eux
tentent de s'adonner au sport plaisant de la transgression, la
tâche est ardue. Du cannabis au trotskisme via l'échangisme,
tout sera accueilli avec bienveillance, voire soulagement :
autant de preuves que les enfants sont en vie.
Sa première ébauche d'insurrection avait consisté à arracher
méthodiquement le portrait de Pierre Overney qui était collé
sur la porte de la cuisine. Il avait pensé bien faire. C'était lors
d'une de ses nombreuses tentatives de réaménagement-embourgeoisement
de l'appartement. Son initiative n'avait pas
été bien accueillie. Il en avait été déçu. Mais enfin, ce n'était pas
de sa faute s'il n'avait pas su reconnaître un militant maoïste
assassiné ! Il avait cru qu'il s'agissait là du poster d'un vieux
chanteur folk passé de mode et que le temps était venu de s'en
débarrasser. Ce fut son premier sacrilège. Bien involontaire.
Mais tellement révélateur. Et ce n'était que le début...»
Le trentenaire est un curieux animal dont on entend souvent
parler. Une quantité incroyable de dossiers, d'études, de monographies
lui est consacrée. De temps en temps, il s'exprime. Ou
plutôt, il réagit. Parfois pour se plaindre (on ne lui a rien laissé),
parfois pour étonner son monde (il a l'audace d'avouer publiquement
qu'il a osé jadis sécher des cours de DEUG). Il s'exprime mais
ne se raconte pas. Pourtant, son salut viendra sans doute de sa
capacité à prendre au sérieux son histoire, à la conter, peut-être à
l'aimer...