Que savons-nous exactement de l'expérience du travail contemporain ? En trente ans, le management a complètement redéfini la nature des collectifs de travail ; mais dans les organisations flexibles, c'est aussi la manière de s'éprouver soi-même dans cette activité qui s'est transformée. Car la flexibilité désigne la capacité de répondre rapidement à des situations non anticipées, afin de s'ajuster aux contraintes marchandes de plus en plus serrées. Pour les personnes concernées, elle est aussi censée contenir des promesses de libération.
En fait, les épreuves deviennent incertaines et diffuses. Supposées accorder plus de place aux capacités d'initiative des individus, elles permettent peu d'ancrage dans des collectifs authentiques ou dans une histoire partagée. Elles contiennent de plus une part d'arbitraire et font vaciller les appuis nécessaires à l'accomplissement personnel, cela au moment même où la critique sociale n'a plus prise sur les transformations internes de l'organisation du travail.
L'auteur appuie son analyse sur l'enquête historique et ethnographique menée dans deux ateliers d'une grande entreprise industrielle, ainsi que sur le récit de vie d'un technicien socialisé dans les anciens univers productifs et déstabilisé par les nouvelles exigences normatives imposées à l'encadrement. Il porte ainsi une attention particulière aux souffrances éprouvées dans le travail et prône une éthique capable de répondre à l'inhumanité de la production.