De l'Âge d'or à l'Âge de fer, en passant par l'Âge d'argent, la
Russie a parcouru à pas de géant, de Pouchkine à Soljénitsyne,
les trois âges mythiques de l'humanité selon Hésiode. Elle
s'est inventée dans l'oeuvre d'un poète aux cheveux crépus
(hérités de son ancêtre africain), Alexandre Pouchkine. En lui
elle a combiné soif de liberté et fierté de l'empire. Cet Âge
d'or culmina avec Tolstoï, dont Guerre et Paix donne une image
idyllique de l'harmonie peuple-aristocratie.
Mais Tolstoï devint le premier dissident européen et prépara la
chute de l'empire. L'Âge d'argent, né avec Tchekhov et accompagné
par le terrorisme, naquit de la modernisation rapide de
la Russie et cultiva le sombre pressentiment d'une apocalypse
en gestation, la Russie du Châtiment d'Alexandre Blok, celle du
«poème de la terreur», Pétersbourg, de Biély.
Quand l'Utopie tant rêvée arrive au pouvoir, elle est accompagnée
de gredins «au coeur de chien», selon la métaphore
de Boulgakov, et il s'ensuit un terrible Âge de fer. Son nom
sera «Goulag» et il donne naissance à une nouvelle dissidence,
secrète avec Pasternak, frontale avec Soljénitsyne. Et à une
magnifique littérature où, une fois de plus, le ressort littéraire
est le primat éthique.
Georges Nivat s'emploie ici à relire les textes et les mythes de
cette Russie des trois Âges pour recomposer un parcours de
l'immense culture russe.